HISTOIRES DE CLOCHER

André Raffaelli

HISTOIRES de CLOCHER
 
               L'homme s'appelait, du moins on l'appelait, "Scatula Bianca". D'où lui venait cet étrange surnom, mystère ... Pedru G... était un personnage de notre village qui ne laissait personne indiffèrent.
               Débonnaire et disponible, vif et bon vivant il évoluait parmi nous avec aisance et sans souci du lendemain. Sa femme, car il en avait eu une, l'avait quitté quelques jours après leur "mariage" célébré par un maire improvisé et un curé de circonstance. Pour l'occasion, une table avait été dressée sur la place du village et chacun avait mis en pratique les coutumes locales en apportant  tout ce qui convenait pour réjouir les corps et les coeurs, charcuterie, pain, vin et frappe * de tradition. L'accordéon diatonique et le violon avaient animé la soirée jusqu'à la tombée de la nuit.
               Un beau matin le clocher paroissial de Campile se mit à carillonner subitement sans que l'on sache pourquoi. Il n'y avait ni fête annoncée ni mariage ni morts ... que se passait-il ? Les gens, groupés autour, essayaient de savoir qui pouvait  être l'auteur de ce tintamarre intempestif. Il fallut employer les grands moyens pour pénétrer dans l’édifice car l'individu s'était barricadé à l'intérieur. On défonça donc la porte pour apercevoir notre Pedru, car c'était lui, tout en haut, en équilibre entre deux planches,  manipulant à l'aide de son bâton le battant, la Cicona, qui se fait entendre pour les occasions joyeuses.
               On lui demanda de descendre, pas question, d'arrêter, encore moins, ! les raisons de sa colère, silence, puis un cri ... Dolinda est partie avec Joseph !!! Dolinda était sa ‘femme’ et Joseph, son ami, celui-là même qui avait endossé la robe noire de sa mère pour se déguiser en curé et célébrer son mariage.
               Après une bonne heure de palabres et de menaces sans résultat, on alla chercher le maire  mais rien n'y fit. Celui-ci -ci eut alors une idée de génie, il appela les deux bucherons qui venaient d'abattre un vieil arbre sur la place et lança à Pedru un dernier avertissement : si tu ne descends pas immédiatement je demande à ces deux hommes de "scier" le clocher avec leur "sione" **
               A ces mots notre homme, pris de panique s'empressa de descendre et l'affaire se termina par une rigolade générale.
              Mais le clocher de Campile a vécu une autre histoire que j'ai déjà racontée.
​              Au moment de sa construction il n’était pas attenant à l’église, c'était un campanile. Il était 
​un des plus hauts de Corse mais pour un monument appelé à défier le temps, sa vie à lui fût brève. 
​              Sans que l’on sache pourquoi, des lézardes fissurèrent ses flancs et ce qui devait arriver, arriva, il finit par s’écrouler. On en construisit un autre quelques temps après, celui qui depuis un siècle se trouve là où il est après avoir perdu son titre de campanile pour devenir un simple clocher.
​              Sait-on que le vieux campanile fût l’objet d’un infamant marché ? Soucieux de récupérer la batterie de cloches qui l’équipaient on proposa à un condamné à mort, promis à l’échafaud, de lui laisser la vie sauve s’il acceptait de grimper au sommet pour les décrocher.
​Il accepta. Hélas, alors qu’encadré de gendarmes il venait de passer le pont de Barchetta, le campanile, fierté de Campile, s’écroula et les cloches avec … 
​D’après ce qui me fût dit la justice considéra que le condamné méritait bien la grâce promise, il échappa donc à la guillotine mais que devint-il ensuite, personne ne le sut jamais.
 
 
*frappe : (pluriel de frappa) pâtisserie locale similaire aux bugnes de Carnaval
**Scatula Bianca : Boîte Blanche
*** Sione : grande scie passe-partout manipulée à deux pour scier les gros troncs 

 


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